0 Comments|ERA
Depuis quelques années, dans plusieurs villes côtières, les Algériens ont de l’eau dessalée au robinet, et à l’avenir, le changement climatique aidant, ils seront encore plus nombreux dans ce cas.
par M’hamed Rebah
Les Algériens ont trouvé comment assurer leur sécurité hydrique dans le contexte du changement climatique. Chacun a son « château d’eau» directement raccordé à ses robinets.
La citerne de secours de grande contenance est incontournable, posée sur le balcon ou à la terrasse, sur le palier près de la porte ou quelque part dans l’appartement, au point où rares sont ceux qui se plaignent de la pénurie d’eau ou de son rationnement sauf quand la fréquence de distribution n’est pas respectée et que la durée de coupure épuise les réserves du «château d’eau» domestique. Pour la boisson, c’est l’eau en bouteille. Selon un article récent (janvier 2024), « la consommation des eaux minérales embouteillées en Algérie connait une certaine croissance ».
L’eau dessalée au robinet
Depuis quelques années, dans plusieurs villes côtières, les Algériens ont de l’eau dessalée au robinet, et à l’avenir, le changement climatique aidant, ils seront encore plus nombreux dans ce cas. Personne ne peut prétendre savoir ce qu’ils en pensent. Aucun sondage d’opinion sur l’eau dessalée n’a été fait.
Les entreprises de distribution d’eau dessalée dans les villes où sont implantées les stations de dessalement n’ont pas eu à s’expliquer sur la qualité de cette eau non conventionnelle qui, à la différence de l’eau de surface et de l’eau souterraine, vient de la mer et passe par une usine, et non pas du ciel via un barrage ou un forage.
Le président Abdelmadjid Tebboune insiste sur l’achèvement rapide des usines de dessalement de l’eau de mer le long de la bande côtière du pays, pour l’approvisionnement en eau potable des habitants des wilayas du littoral et des wilayas distantes de 150 km de ces infrastructures.
A la fin 2024, selon les indications données par le ministre de l’Hydraulique, cinq stations de dessalement d’eau de mer d’une capacité de production de 300.000 m3/jour et d’un coût de plus de 400 millions de dollars chacune, seront entrées en production. Implantées à Cap Djinet (Boumerdès), Cap Blanc (Oran), Koudiet Draouche (EI Tarf) et Tighremt (Béjaïa), elles porteront la production à 3,7 millions m3/jour et permettront d’assurer 42 % des besoins en eau potable des populations concernées. Actuellement, les 13 stations de dessalement, d’une capacité de 2,1 millions m3/jour, mises en service depuis 2003, fournissent 18 % de l’eau consommée en Algérie.
Entre 2025 et 2030, sept autres stations seront réalisées dans les wilayas de Tlemcen, Mostaganem, Tizi Ouzou (2 stations), Chlef, Jijel et Skikda, ce qui portera le taux à 60 %, couvert par 25 stations de dessalement au total. Ce nouveau programme sera sans doute confié à l’Agence nationale de dessalement de l’eau de mer (ANDE), récemment créée, qui pourrait prendre ainsi le relais de l’Algerian Energy Company (AEC, créée en 2001 par Sonatrach et Sonelgaz, à parts égales, puis détenue à 100 % par Sonatrach depuis 2018), qui a piloté les programmes de dessalement d’eau de mer précédents depuis 2002. Le P-DG d’AEC, Mohamed Boutabba, estime qu’une fois, le programme de réalisation des stations de dessalement d’eau de mer totalement achevé, il pourrait y avoir un excédent de production d’eau par rapport aux besoins, et donc la possibilité pour l’Algérie d’exporter de l’eau (entretien à la chaîne 1 de la radio algérienne, 1er avril 2024).
L’«algérianisation»
Alors que la réalisation des premières grandes stations de dessalement avait été confiée à des entreprises étrangères, le programme lancé en 2021 implique exclusivement, sous la supervision de l’AEC, des compétences algériennes, principalement le groupe public Cosider et des filiales de Sonatrach : la Société nationale de Génie Civil et Bâtiment (GCB), l’entreprise nationale de travaux aux puits (EN GTP), la Société algérienne de réalisation de projets industriels (SARPI) et l’Entreprise nationale de canalisations (ENAC).
Evidemment, cette algérianisation est un motif de fierté pour les responsables algériens qui ne manquent pas de mentionner la réduction du coût et du délai de réalisation que cela entraîne, en plus de promouvoir l’outil de production nationale et surtout renforcer la souveraineté nationale dans la sécurité hydrique. Contrainte de taille : les pompes, les filtres et les membranes d’osmose ainsi que d’autres équipements, qui forment le cœur des stations de dessalement, sont importés, ce qui pose le problème de la sécurisation du fonctionnement des installations.
Pour les responsables algériens, il est impératif que les intrants et les pièces détachées actuellement importés soient fabriqués en Algérie. Ils espèrent porter à 100 %, le taux d’intégration nationale dans la réalisation de ces stations qui est de 30 % à 40 % actuellement (génie civil, conduites et câblerie électrique). Dans son entretien à la chaîne 1 de la radio algérienne, le PDG de AEC a révélé le projet de fabrication en Algérie des membranes d’osmose inverse, par des entreprises algériennes, à 100 %, a-t-il précisé, à un coût très inférieur à leur prix sur le marché international, ce qui permettrait non seulement de les intégrer aux stations de dessalement, mais aussi de les exporter. La même démarche est envisagée pour les filtres. Les pompes (importées du Japon) également pourront être produites en Algérie.
La démarche d’algérianisation exige, en outre, la formation de techniciens et d’un personnel qualifié pour l’exploitation des installations de dessalement d’eau de mer. Les établissements de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle en sont chargés.
2002, début de l’ère du dessalement en Algérie
Il faut rendre justice au personnel algérien d’une entreprise publique, Hydro Traitement, qui a, dès le début des années 2000, en octobre 2002 précisément, permis aux habitants de Skikda, à 400 km à l’est d’Alger, d’avoir la primeur de boire de l’eau de mer dessalée grâce à la station qu’ils ont installée en un temps record, aux abords de la plage Ben M’hidi. La capacité de la station était de 5 000 m3/j, une petite goutte dans l’océan des besoins, mais qui avaient suffi à indiquer que l’ère du dessalement, option stratégique dans la nouvelle politique de l’eau, avait bien commencé en Algérie.
Sur les 21 stations de petites capacités, prévues dans le programme d’urgence du gouvernement, décidé en 2002, Hydro Traitement en a installé 13. Son P-DG, Mokhtar Tarakli, plaidait déjà pour le dessalement. Ses arguments : «nous sommes dans une des régions du monde les plus défavorisées en matière de disponibilité hydrique et notre pays ne dispose ni de grands fleuves, ni de grands lacs, ni de grands sites pour abriter les immenses barrages en mesure de stocker l’eau dont on a besoin pour l’alimentation, pour l’agriculture et pour l’industrie » (Les risques écologiques en Algérie. Quelle riposte ? Editions APIC, 2005).
A l’époque, deux banques privées algériennes, Khalifa Bank et la Banque commerciale industrielle d’Algérie (BCIA), inconnues dans la famille de l’eau, avaient senti le filon. Anticipant alors sur la nouvelle loi sur l’eau, elles avaient fait connaître leurs ambitions dans le domaine du dessalement d’eau de mer. La BCIA disparaîtra en août 2003, sans rien réaliser, la Commission bancaire de la Banque d’Algérie ayant décidé de lui retirer l’agrément après constat de sa situation « d’illiquidité et d’insolvabilité financière ».
Quant au groupe Khalifa, il avait pu installer, au début 2002, au port de Zemmouri (60 km à l’est d’Alger), sur un quai de servitude, donc gênant le trafic portuaire, deux stations (2 x 1500 m3/j) ramenées d’Arabie Saoudite (pour 200 millions de dollars). Mais l’eau dessalée qui en sortait était de qualité médiocre, imbuvable, avec, de surcroît, une odeur de gas oil, à cause des fuites, dues à la vétusté de l’installation, qui ont mélangé le gas oil, combustible utilisé dans le procédé par distillation en offshore, à l’eau de mer qui était pompée pour être dessalée. Certains avaient dit que les conduites et les vannes immergées avaient été obstruées par les sachets noirs en plastique.
Les stations de dessalement, «don» du groupe Khalifa à l’Algérie, avaient été tellement médiatisées qu’on avait cru qu’il était le seul intervenant dans le dessalement. Khalifa devait «offrir» sept autres stations de dessalement, dont quatre importées de Grèce. Evidemment, rien de tout cela n’a subsisté après la disparition de Khalifa Bank, en mars 2003, quand la Commission bancaire a décidé de nommer un administrateur provisoire à sa tête, annonçant le début de la chute de tout le Groupe Khalifa, aussi fulgurante que sa montée en puissance à sa création en 1998.
A l’origine, l’industrie pétrolière
L’expérience algérienne du dessalement date du début des années 1960. Avec le développement de l’industrie pétrolière, des petites unités de dessalement et de déminéralisation ont vu le jour dans les régions d’Arzew, Skikda, Hassi R’mel et Hassi Messaoud. En 1964, une première station de 192 m3/j a été installée à Arzew. La deuxième, en 1969, avait une capacité de 4560 m3/j. A l’époque, un certain nombre d’études sur le dessalement ont été lancées par différents secteurs. En 1995, le gouvernement a approuvé le projet d’installation d’une unité de dessalement d’eau de mer dans le complexe d’Arzew, projet repris et actualisé en 2002, d’une capacité de 25 000 m3/j. Elle devait être couplée à une centrale électrique à cycle combiné.
En 2000, il y avait 43 petites unités de dessalement installées en Algérie, représentant une capacité de 100 000 m3/j. A ce moment, les prévisionnistes estimaient qu’en 2020, les besoins en eau en Algérie seraient d’au moins 11 milliards de m3. Il faudrait, affirmaient-ils, non seulement construire au minimum une cinquantaine de barrages, mais aussi une vingtaine d’unités de dessalement d’eau de mer de 50 000 à 100 000 m3 /jour, et surtout rénover des dizaines de milliers de km de conduites d’eau, pour réduire les pertes qui étaient alors actuellement de 30 à 50 %.
En 2024, une priorité stratégique
La faible pluviométrie due au changement climatique a fait du dessalement de l’eau de mer, une priorité stratégique des pouvoirs publics, confirmée par les faits. D’abord au plus haut niveau, l’attention particulière accordée par le président Tebboune à l’option du dessalement se reflète dans ses interventions en Conseil des ministres. Au niveau d’exécution, sur le terrain, tous sont «aux petits soins» avec le programme présidentiel de dessalement, une sorte de mobilisation générale pour lever les obstacles à la réalisation des projets et respecter le délai de rigueur, «avant la fin 2024».
Le ministre de l’Energie et des Mines (tutelle de Sonatrach et de l’AEC), Mohamed Arkab, le ministre de l’Hydraulique, Taha Derbal, et les walis concernés, se sont succédé depuis le début de l’année en visites d’inspection sur les sites. Sur place, ils promettent que les cinq stations qui figurent au programme complémentaire du plan d’urgence de l’année 2021 arrêté par le président Tebboune seront livrées dans les délais fixés.
Le P-DG de Sonatrach, Rachid Hachichi, pourtant, certainement très occupé par le suivi du marché international de l’énergie – pétrole et gaz, principalement- veille, lui aussi, au grain. Il était, tout récemment, dans la wilaya de Bejaïa où il a inspecté le projet de réalisation de la station de dessalement de l’eau de mer de Tighremt, qui est supervisé par AEC. Cette station doit couvrir à la fin de l’année les besoins de 3 millions d’habitants de la wilaya de Bejaïa et de localités voisines des wilayas de Bouira, de Sétif et Bordj-Bou-Arreridj.
La face cachée
On pense également à l’«après». Il n’est pas question de reproduire l’expérience négative de la station d’El Mactâa, près de Mers El Hadjadj, à Oran, qui alterne, depuis sa mise en service en 2016 – par l’ex-Premier ministre, Abdelmalek Sellal – les annonces d’un énième «arrêt total » et du « retour à la normale » et, entre les deux, créé des perturbations, voire des coupures dans l’approvisionnement en eau.
La station de dessalement de l’eau de mer d’El Mactaa a été réalisée par une société étrangère. Elle devait produire 500 000 m3/j achetés par Sonatrach et l’Algérienne des eaux (ADE), selon la formule take or pay (c’est la capacité de production qui est payée, même si la quantité réellement enlevée est inférieure) sur la base d’un contrat d’une durée de 30 ans. La wilaya d’Oran devait recevoir 250.000 m3/j et le reste réparti entre les wilayas de Mostaganem, Mascara, Tiaret et Relizane. Avant sa mise en service, son inconvénient était signalé : les rejets de saumures en mer et leur impact sur la flore et la faune marines.
En cours de réalisation, elle, aussi, avait fait l’objet de visites d’inspection ministérielles fréquentes. On racontait qu’avec la station El Mactaâ, Oran aurait de l’eau à revendre. Elle était présentée comme une des plus grandes au monde. Son exploitation a été confiée au constructeur étranger et la maintenance à une société privée algérienne. Mais, quatre ans après sa mise en service, elle enregistrait « des défaillances répétées » (Liberté, 21 mars 2021). Une fois, en novembre 2021, « la cause de l’arrêt forcé de la station était la présence dans l’eau de mer, très agitée ces derniers jours, de quantités importantes de «matière en suspens» qui risqueraient d’obstruer les filtres et mettre en péril l’ensemble de la station » (Le Quotidien d’Oran, 9 novembre 2021).
Au début de cette année, mercredi 17 janvier 2024, Rachid Hachichi. P-DG de Sonatrach, était à Oran, «au chevet» de la station El Mactaâ. Il a inspecté, de «près», a-t-on précisé, les difficultés entravant son bon fonctionnement, liées à des travaux de maintenance, en particulier pour les membranes filtrantes. « Cette station connaît des problèmes et la Sonatrach va aider à les régler », annonçait-il après un diagnostic de la situation qu’il a qualifiée d’«inacceptable». Pour lui, « la maintenance est un objectif principal qu’il faut assurer pour permettre à la station de fonctionner de manière stable et continue dans le temps ». Il a promis que le groupe Sonatrach enverrait ses spécialistes tous corps de métier confondus pour une assistance technique visant à régler les problèmes existant au niveau de la station de dessalement d’eau de mer d’El Mactaâ.
La leçon d’El Mactaâ est apprise. Le ministre de l’Energie et des Mines a annoncé la création avec un partenaire étranger d’une société mixte spécialisée dans la maintenance des équipements des unités de dessalement de l’eau de mer, avec à la clé, le transfert technologique aux entreprises algériennes.
Les défis
Les défis à venir seront à la charge, sans doute, de l’Agence nationale de dessalement de l’eau (ANDE, établissement public à caractère industriel et commercial), qui a pour mission statutaire de « réaliser, d’exploiter et d’assurer la maintenance des stations de dessalement de l’eau et des infrastructures et équipements y afférents, en menant toutes actions et opérations concourant à cet effet ». Autre problème soulevé par le P-DG de l’AEC : quels seront les effets des stations de dessalement, installations nouvelles, sur le réseau de l’Algérienne des eaux (ADE), ancien, auquel elles sont raccordées ?
Mission terminée, et accomplie, dans le dessalement d’eau de mer pour AEC ? Pas encore. L’AEC, qui s’occupe aussi d’énergies renouvelables, est attendue sur une autre priorité : produire l’hydrogène vert en utilisant l’eau de mer dessalée par ses stations. C’est l’instruction du président Tebboune : pour la production d’hydrogène vert, recourir aux stations de dessalement, afin d’économiser les ressources en eau conventionnelles. Le P-DG de AEC souhaite que les terrains accordés pour la construction de stations de dessalement d’eau de mer, soient assez grands pour accueillir aussi les panneaux photovoltaïques qui fourniraient l’énergie solaire pour le fonctionnement des stations.
Cet article a été publié dans La Nouvelle République (Alger) du mardi 2 avril 2024.
Photo du haut : citernes d’eau sur une terrasse à Alger © M’hamed Rebah
SOURCE : jne-asso
0 Comments
Login or Register to post comments.